Rien n'est gratuit
La future présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a, dans son discours devant le parlement européen, annoncé entre autres son ambition de créer une banque du climat européenne. Le président français, Emmanuel Macron, avait déjà avant elle également plaidé pour la mise en place d'une "Banque européenne du climat" pour financer la transition écologique. Un organe de ce type pourrait, par exemple, être créé en passant par la Banque européenne d'investissement existante. D'autres propositions allant dans ce sens ont également été avancées ailleurs dans le monde. Citons notamment le "Green New Deal" défendu par la députée américaine Alexandria Ocasio-Cortez, qui contient toute une série de mesures sociales et environnementales très ambitieuses.
Certaines de ces propositions risquent d'avoir un impact budgétaire particulièrement lourd. Il faut évidemment aussi se demander comment financer ces plans. Sur ce point, certains estiment que la solution se trouve du côté des banques centrales. Leur raisonnement est notamment basé sur ce que l'on appelle la théorie monétaire moderne (TMM). Ce cadre de réflexion n'est en soi pas neuf, mais le fait que certains veulent concrètement mettre en œuvre ses recommandations est en revanche un phénomène plus récent.
La TMM est souvent utilisée pour créer l'illusion qu'il n'y a en fait aucune limite budgétaire réelle. Les banques centrales sont en effet capables de financer toutes sortes de projets via la planche à billets. Et, cerise sur le gâteau, les partisans de cette théorie affirment même que cela peut se faire sans faire déraper l'inflation. Confier une partie considérable du financement budgétaire à la banque centrale crée néanmoins un énorme problème de risque moral pour les autorités budgétaires. Dans la pratique, cela entraînera inévitablement un dérapage de l'inflation. En effet, il n'existe pas non plus de "free lunch" dans le monde de la MMT et des choix politiques doivent être posés par rapport à l'affectation des rares ressources économiques dont nous disposons.
L'utopie de la planche à billets
Personne ne conteste le fait que les dépenses publiques financées par la politique monétaire permettent de stimuler la croissance économique, surtout lorsque des capacités de production demeurent inutilisées. En 2003, le gouverneur et futur président de la Fed, Ben Bernanke, avait par exemple suggéré que le Japon aborde, en dernier recours et de manière provisoire, ses problèmes de croissance et de déflation de cette manière. Comparant néanmoins cette solution à une sorte d'assurance vie ultime.
Il est cependant dangereux de généraliser ce type de scénario d'urgence. Cela peut en effet donner de mauvaises idées aux gouvernements. À court terme, les autorités budgétaires peuvent en effet être tentées de ne pas prendre les choix de politique qui s'imposent, vu que le financement sera de toute manière assuré par la banque centrale. Cette tentation serait particulièrement élevée aujourd'hui, compte tenu de la faiblesse extrême de l'inflation (et des perspectives d'inflation). Cet environnement ne réduit en effet pas les risques, mais ne fait que les reporter à plus tard. Un gouvernement sans vision à long terme pourrait donc les ignorer sans être sanctionné.
Le débat académique autour de la TMM va sans aucun doute encore durer un certain temps. Mais, dans la pratique, la théorie se heurterait rapidement à des obstacles opérationnels et ferait presque certainement déraper l'inflation. L'histoire nous montre en effet que la tentation de la planche à billets est trop grande.