Vers une Europe franco-allemande, malheureusement!
Les élections parlementaires, en particulier à l'échelon européen, ne sont souvent d'aucune pertinence pour les marchés. Mais il pourrait bien en être autrement cette fois-ci, du moins à plus long terme. Si le Brexit Party britannique est promis à une victoire héroïque lors des prochaines élections du Parlement européen, la véritable lutte d'influence en Europe est placée sous le signe d'un renforcement du projet franco-allemand. D'un point de vue historique, une collaboration solide entre les deux plus grands États membres de l'UE est le meilleur gage d'une poursuite de l'intégration européenne. Les optimistes s'attendent à une consolidation de l'axe franco-allemand après le Brexit. L'importance relative des deux pays au sein de l'UE est en effet appelée à augmenter après la sortie du Royaume-Uni. Et c'est déjà perceptible. Les noms de candidats allemands et français sont avancés sans crainte pour des postes élevés au sein de l'Europe comme ceux de président de la Commission, président du Conseil, et même pour la BCE. Dans le passé, on aurait plutôt recherché pour ces fonctions des candidats modérés, fidèles à l'idéologie européenne mais néanmoins disposés à accorder les compensations nécessaires aux eurosceptiques britanniques. La lutte à laquelle nous assistons en ce moment pour l'attribution des postes est symbolique de l'ère post-Brexit, dans laquelle la France et l'Allemagne revendiquent un rôle plus prépondérant au sein de l'Europe.
Reste à voir naturellement si un tel axe franco-allemand conduira automatiquement à une Europe plus forte et plus soudée dans la nouvelle constellation européenne. Dans une perspective économique, on peut se poser la question. La France et l'Allemagne ont en effet en commun une économie assez strictement réglementée, dans laquelle les intérêts nationaux prévalent sur les principes de l'économie de marché. S'il faut en croire l'Economic Freedom Index, les deux pays comptent parmi les États économiquement les "moins libres" d'Europe. Bien sûr, cela ne veut pas dire que les Français et les Allemands partagent systématiquement les mêmes préférences sur le plan économique, mais les aspects qui les unissent se traduisent en tout cas souvent par des projets européens communs. Les Britanniques font traditionnellement contrepoids avec leur plaidoyer davantage axé sur les principes de l'économie de marché, d'inspiration anglo-saxonne. Dans la pratique, le Royaume-Uni a exercé une grande influence sur le projet de l'UE, comme le montrent clairement les principes généraux du marché intérieur européen et de la politique européenne en matière de concurrence. Un contrepoids qui risque de disparaître à l'avenir, ou du moins de s'affaiblir.
Cette évolution vers une Europe moins axée sur l'économie de marché est plutôt alarmante dans le contexte de la montée internationale du protectionnisme. Nous nous attendons à moins d'élans internationaux positifs en faveur d'une économie européenne ouverte. Ce sont donc les forces internes de l'Europe qui devront soutenir l'économie. Le doute est permis quant à la capacité d'une approche économique plus régulée, d'inspiration franco-allemande, à imprimer l'élan nécessaire pour renforcer nos entreprises européennes à travers une concurrence loyale sur le marché européen, une attention accrue pour l'innovation et la valorisation et une défense de nos intérêts économiques internationaux reposant sur l'affirmation de soi. Or, cette focalisation est essentielle pour renforcer à l'avenir l'économie européenne et assurer notre croissance économique et notre prospérité.
Nigel Farage est loin de faire l'unanimité en Europe, mais les Britanniques nous manqueront pour leur orientation vers l'économie de marché et leur vision économique de l'Europe. Cette évolution est de mauvais augure, en particulier pour les petits pays européens qui aspirent eux aussi à un marché ouvert et libre. C'est surtout dans le nord de l'Europe que l'on trouve les plus fervents adeptes de cette idéologie Il ne nous reste qu'à espérer que ces plus petits États membres parviendront à s'unir pour contrebalancer une Europe reposant trop sur les principes économiques de la France et de l'Allemagne.