De courte durée, l'allégresse américaine?
Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais force est d'admettre que les taux de croissance du premier trimestre rapportés pour l'économie américaine (3,2% d'un trimestre à l'autre en base annuelle) laissent présager de meilleures perspectives pour les États-Unis en 2019. Le ralentissement marqué accusé par la croissance au quatrième trimestre de 2018 (2,2%) est ainsi compensé. Il sera cependant impossible d'égaler la prestation exceptionnelle de la totalité de 2018 (2,9%), qui était le résultat des réformes fiscales et des effets d'anticipation dans le cadre du conflit commercial avec la Chine.
Les détails qui se cachent derrière ces taux de croissance sont cependant moins encourageants. L'accélération de la croissance est en effet à attribuer à l'accroissement des stocks et à l'effet net positif des exportations. La consommation intérieure et les investissements trahissent par contre un ralentissement. La croissance en déclin de la consommation, surtout, après que celle-ci ait été pendant des années le moteur du cycle conjoncturel américain, a de quoi inquiéter. En dépit de la création d'emploi toujours vigoureuse et des salaires toujours en hausse, le consommateur est devenu plus prudent. La consommation de biens durables a même chuté de 5,3%, ce qui indique un repli de la confiance à plus long terme des consommateurs. La circonspection des consommateurs américains se traduit aussi par une baisse des importations américaines, un élément qui induit à court terme un effet positif pour la croissance mais qui n'en trahit pas moins un ralentissement de la croissance à plus long terme. Les augmentations des stocks sont également souvent le signe avant-coureur d'un ralentissement de la croissance vu qu'elles peuvent finalement engendrer une réduction de la production. La vigoureuse croissance des exportations (3,7%), en dépit des conflits commerciaux et du dollar relativement fort, est assurément de bon augure, même s'il reste à voir si elle est à attribuer à un effet saisonnier ou à une tendance structurelle.
Ces chiffres font planer le doute sur la politique future à attendre de la part de la Fed. Soit la Fed va considérer le premier trimestre comme un sursaut passager, soit elle va à nouveau envisager une reprise de la normalisation de la politique. Le marché table sur la première hypothèse. De plus, l'évolution de l'indice des prix à la consommation mesuré par les dépenses (le PCE, le critère utilisé pour mesurer l'inflation) est de nature à conforter la Fed dans son attitude expectative. L'indice des prix excluant les composants volatils comme l'alimentation et l'énergie a en effet progressé de seulement 1,3% (d'un trimestre à l'autre en base annuelle), venant de 1,8% au quatrième trimestre de 2018. Ces évolutions des prix sont elles aussi révélatrices d'un ralentissement de la croissance à plus long terme.
Le président Trump s'est empressé de porter aux nues ces performances de croissance. Reste à voir si cette euphorie est faite pour durer. Les tendances sous-jacentes, à savoir la croissance modérée de la consommation, l'accroissement des stocks et la hausse des prix plutôt faible, nous confortent dans l'idée que l'économie américaine nous réserve encore un ralentissement plus tard dans l'année. Quoi qu'il en soit, la vigueur du premier trimestre contribuera à un ralentissement en douceur au total de l'année. Il peut s'agir là d'une bonne nouvelle pour l'économie mondiale, qui a grand besoin d'incitants positifs. L'Europe, surtout, pourrait tirer profit d'une fin d'été favorable aux États-Unis — les exportateurs allemands en tête. Il reste d'ailleurs frappant de constater avec quelle aisance et quelle rapidité l'économie américaine s'accommode des incertitudes internationales (dont les États-Unis sont dans une large mesure eux-mêmes responsables), tandis que l'économie européenne, elle, reste prisonnière du pessimisme ambiant. Les entreprises industrielles européennes, en particulier, sont passées à la vitesse de l'éclair d'un optimisme débridé à un pessimisme profond. Si réjouissantes que soient les nouvelles au sujet de la croissance américaine, nous n'en restons pas moins prudents à l'égard de l'avenir de l'économie mondiale. Car malheureusement, toutes les belles choses ont une fin…