Les chiffres américains ne tranchent pas la question
Le rapport officiel sur le marché de l'emploi américain (les "payrolls") était vendredi le point d'orgue d'une semaine truffée de statistiques économiques cruciales. Mais ni les ventes au détail, ni les indicateurs de confiance ISM, ni les commandes de biens durables ni même les statistiques du marché de l'emploi n'ont finalement tranché la question qui préoccupe les marchés: l'économie américaine en fin de cycle est-elle en passe de retomber au point mort?
À l'instar des autres chiffres, les "payrolls" renvoyaient une image mitigée. 196.000 nouveaux emplois ont été créés en mars (chiffre net). C'était un peu plus qu'attendu et nettement mieux qu'en février, où la création d'emploi s'était révélée particulièrement faible (+33.000 unités). Le taux de chômage s'est stabilisé à 3,8% mais a ainsi plutôt créé la déception étant donné que le taux de participation, autrement dit la part de la population active au sein de la population en âge de travailler, a contre toute attente reculé de 63,2% à 63%. Les salaires américains ont augmenté moins qu'on ne l'avait espéré en mars, à savoir de 0,1% en glissement mensuel et 3,2% en glissement annuel. Le marché a ignoré ces résultats avec une facilité assez déconcertante. Le recul accusé par le dollar et les taux d'intérêt américains est resté marginal. Le différentiel EUR/USD se maintient tout juste au-dessus de la zone de soutien cruciale de 1,1187/77. La semaine dernière, le taux américain à 10 ans n'est pas parvenu à se hisser à nouveau au-dessus du seuil de 2,54%.
Vendredi soir, après la publication des chiffres, le président américain a adressé un message clair à la banque centrale. À ses yeux, un seul coupable a le ralentissement de la croissance américaine sur la conscience: la Fed! Selon le président américain, les difficultés actuelles de l'économie américaine sont dues au fait que la Fed a procédé l'année dernière à 4 relèvements des taux d'intérêt. Et comme l'inflation demeure inférieure à l'objectif de 2%, Donald Trump gratifie même la banque centrale d'un conseil gratuit: abaisser les taux et reprendre les achats d'actifs (obligations d'État). Ce n'est pas la première fois que le président tente d'influencer son "grand ami" Jay Powell, mais la pratique n'en reste pas moins inhabituelle. La banque centrale est une institution indépendante au sein de laquelle la politique n'a aucun rôle à jouer. À cet égard, les nominations réalisées sur présentation du président pour pourvoir à deux sièges vacants au sein de l'administration de la Fed ont semé l'agitation ces derniers jours. Pour une fois, le marché (des taux) américain partage cependant la vision de Donald Trump. Depuis le virage négocié par la Fed au premier trimestre de cette année, il évalue en effet à plus de 60% la probabilité d'un abaissement des taux d'ici la fin de l'année. Le marché reste donc beaucoup plus "soft" que la Fed, qui table sur un relèvement des taux d'intérêt en 2020 après un niveau inchangé en 2019.
Aujourd'hui, la session a commencé en douceur. Le calendrier économique est maigre et le restera toute la semaine. L'assemblée annuelle du FMI, la réunion de politique de la BCE — qui se tiendra exceptionnellement mercredi — et le sommet exceptionnel entre le Royaume-Uni et l'Union européenne sur le thème du Brexit sont les facteurs de risque du moment, tandis que JP Morgan Chase et Wells Fargo donneront vendredi le coup d'envoi de la saison des résultats du premier trimestre. Cette fois, les marchés prêteront davantage d'attention aux résultats des entreprises, et plus particulièrement aux perspectives que ces dernières avanceront. Quel est l'impact du ralentissement de la croissance? Le mouvement de panique qui a secoué les marchés début mars semble certes provisoirement apaisé, mais le thème de la croissance pourrait refaire surface plus rapidement que prévu.