Le marché résidentiel dans les capitales européennes

Quelles sont les villes risquant de connaître une bulle immobilière?

Rapport de recherche

Résumé

Des informations anecdotiques nous enseignent que dans de nombreuses grandes villes d'Europe, les prix de l'immobilier ont augmenté plus fortement ces dernières années que dans les pays correspondants dans leur ensemble. Cette évolution a été favorisée par des facteurs spécifiques, tels que l'intérêt des investisseurs (étrangers). En conséquence, les prix dans certaines villes sont désormais deux à trois fois plus élevés que le niveau de prix national moyen.  Il est souhaitable de suivre de près les marchés résidentiels urbains, car la dynamique des prix peut avoir des effets d'entraînement importants sur le reste du pays. Dans ce rapport  d'analyse, nous proposons une approche perspective originale mais provisoire de l'évaluation des prix de l'immobilier dans les 28 capitales de l'Union européenne (Londres y figurant également). Sur la base de divers indices urbains reflétant l'attrait relatif des capitales en tant que lieux de vie, de visite et d'affaires, nous construisons un critère de la sur ou sous-évaluation du prix d'un appartement moyen situé au cœur de la ville. Selon notre analyse, Prague, Helsinki et Rome seraient les villes les plus surévaluées. Bruxelles et Copenhague, en revanche, semblent être les plus sous-évaluées.

Prix des logements dans les capitales


Le niveau des prix des logements varie considérablement entre les pays de l'Union européenne (UE), souvent en raison des différences de niveau de vie de leurs habitants. Sur la base de données fragmentées issues de différentes sources (inter)nationales, le Luxembourg, la France, l'Autriche, le Royaume-Uni et l'Allemagne sont les pays d'Europe où les prix moyens des logements par mètre carré (m²) sont les plus élevés. Un certain nombre de pays de l'Est mais aussi du Sud de l'Europe se situent à l'autre extrémité du spectre des prix. Ainsi, des pays tels que la Roumanie, la Bulgarie, le Portugal et la Grèce affichent des prix immobiliers moyens largement (souvent dix fois) inférieurs à ceux des pays occupant le haut du classement1.

Les prix des logements varient également beaucoup entre les capitales européennes. Plus encore que pour les pays, les données relatives aux niveaux de prix sont difficiles à comparer entre les grandes villes étant donné les différentes définitions et sources de données. Global Property Guide, un fournisseur d'informations pour les investisseurs dans l'immobilier résidentiel, collecte régulièrement des données comparables sur le prix de transaction d'un appartement moyen de 120 m² situé dans le centre-ville (voir figure 1). Les dernières données, qui couvrent la fin de l'année 2019, confirment que les différences de prix pour les 28 capitales de l'UE sont assez importantes (bien que le Royaume-Uni ne fasse plus partie de l'Union européenne, nous incluons toujours Londres dans notre analyse). Londres et Paris sont de loin les villes les plus chères en termes de prix de transaction pour un appartement moyen. Une seule autre ville, Vienne, dépasse également le seuil de 10 000 EUR/m². De toutes les capitales d'Europe centrale, Prague est la plus chère. Bucarest, Nicosie et Sofia sont les trois seules capitales d'Europe dont le niveau de prix est inférieur à 2 000 EUR/m².

Les grandes différences de prix entre les capitales reflètent généralement les niveaux de prix dans leurs pays respectifs, malgré des exceptions notables. L'Annual Property Index de Deloitte (voir note de bas de page 1) montre que, dans certains pays, les prix des logements dans la capitale sont environ deux (Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas et Bulgarie) à trois fois (France et Portugal) plus élevés que le niveau moyen des prix dans le pays. La Lettonie et la Croatie sont les deux seuls pays de l'UE où le niveau des prix dans la capitale n'est que marginalement (moins de 5%) supérieur à la moyenne nationale.  

Overprijzing op stadsniveau

Exagération des prix du logement urbain

Une évolution hétérogène des prix de l'immobilier dans un pays, et plus particulièrement des prix exagérément élevés dans les grandes villes, peut s'avérer préoccupante du point de vue de la stabilité financière. Si elles peuvent être justifiées par des facteurs fondamentaux, les évolutions de prix divergentes peuvent également révéler des hausses de prix excessives dans certains endroits. Dans ce cas, la forte dynamique des prix des logements pourrait se propager à l'ensemble du pays par effet de vague et provoquer ainsi une surévaluation générale. Il est donc souhaitable de suivre de près les marchés résidentiels locaux ou urbains, car cela peut fournir une indication précoce des vulnérabilités potentiellement croissantes à l'échelle nationale.    

Dans ce rapport d'analyse, nous nous concentrons sur la détection des signes possibles de surévaluation des marchés résidentiels des capitales européennes. En raison de limitations des données et de problèmes de définition, nous ne pouvons pas nous arrêter aux critères d'évaluation traditionnels. Ainsi, de longues séries chronologiques sont nécessaires pour déterminer la sur ou sous-évaluation sur la base du ratio prix/revenu classique (comparant la valeur actuelle du ratio à sa moyenne à long terme). De longues séries chronologiques comparables au niveau des capitales ne sont toutefois disponibles ni pour les prix des logements ni pour le revenu disponible des habitants. Notons également que de nombreux acheteurs de biens immobiliers dans les grandes villes vivent ailleurs dans le pays (souvent en dehors) (ils achètent pour investir, pour louer via Airbnb,...).2 Par conséquent, contrairement à l'évaluation de l'immobilier au niveau du pays, l'évolution relative des prix des logements par rapport au revenu des résidents urbains est moins pertinente.

Pour avoir une idée approximative de l'accessibilité financière de l'immobilier, la figure 2 montre le rapport entre le prix de transaction d'un appartement (données de la figure 1) et le salaire net mensuel moyen (après impôts) perçu dans les capitales. Les chiffres salariaux représentent l'ensemble des travailleurs dans la ville, y compris ceux qui vivent en dehors. Ce sont les personnes ayant un emploi à Londres, à Prague et à La Valette qui doivent travailler le plus longtemps pour pouvoir acheter un appartement dans le centre-ville. La banque d'investissement suisse UBS adopte une approche différente pour détecter les exagérations. Elle publie une enquête annuelle dans laquelle elle demande aux experts immobiliers s'ils entrevoient un risque majeur de bulle sur le marché résidentiel d'une série de villes du monde (l'indice UBS Global Real Estate Bubble). Seules six capitales européennes sont cependant reprises dans l'enquête. Selon la dernière publication de 2020, le risque de bulle maximal se situe à Amsterdam et à Paris. À Londres et à Stockholm, les marchés sont également jugés surévalués, mais une bulle ne serait pas en train de s'y former. Enfin, les marchés résidentiels de Madrid et Varsovie sont considérés comme étant assez correctement évalués.   

Dans ce qui suit, nous adoptons une approche très différente pour estimer la sur ou sous-évaluation des prix des logements dans les capitales européennes. Nous utilisons un certain nombre d'indices urbains (city indices)qui nous donnent un aperçu de l'attractivité générale des capitales. Le classement des villes pour les différents indices comparé au classement des villes sur la base du prix d'un appartement moyen donne alors une idée du risque de surévaluation du marché résidentiel dans les différentes capitales.

Tableau 1 - Indices urbains pris en compte dans le calcul des coefficients de corrélation (figure 3)

Index des villes Brève description Source
1. Top 100 City Destinations Ranking based on the number of international tourist arrivals Euromonitor International
2. Innovation Cities Index Measures cities' potential as an innovation economy, based on 162 indicators relating to health, wealth, population and
geographical factors
2thinknow
3. Cost of Living Ranking Compares the cost of living for expatriates in cities (over 200 goods and services, including e.g. housing, transportation,
food, clothing and entertainment)
Mecer
4. Sustainable Cities index Ranks global cities on three dimensions: people, planet and profit (viability of cities as a place to live, their environmental impact and their economic/financial stability Arcadis
5. Dynamic Cities Index Aims to capture the factors that make a city attractive to talent, resilient to disruptive technology and a leader in the
knowledge economy
Savills Investment Mgt
6. Top Cities Index Survey based on question: "What is the best city to live in, to visit, to do business in?" IPSOS
7. Quality of Living Ranking Living conditions according to political/social/economic environment, medical considerations, schools, public services & transportation, recreation, consumer goods availability, housing, natural environment Mercer
8. European Digital Cities Index Index describing how well cities support digital entrepreneurship Nesta
9. Global 150 Cities Index Cities that have the ideal combination of high salaries, low taxes and costs, and high quality of life AIRINC
10. Global Cities Outlook A projection of a city's potential based on the rate of change in 13 indicators across four dimensions: personal well- being, economics, innovation, and governance ATKearney
11. European Green City Index Measures the environmental performance of cities taking into account environmental governance, water consumption,
waste management and greenhouse gas emissions
Economist Intelligence Unit
12. City Competitiveness Index Factors determining a city's competitiveness, including business and regulatory environment, quality of institutions and human capital, cultural aspects, quality of environmental governance Economist Intelligence Unit
13. People Risk Rating Measures the risks that organisations face with recruitment and employment by analysing factors such as demographics, access to education, talent development, employment practices and regulation AONHewitt
14. Global Cities Index Measures how globally engaged cities are in five dimensions (27 metrics): business activity, human capital, information
exchange, cultural experience, political engagement
ATKearney
15. Global Liveability Ranking Considers 30 factors related to five dimensions: public safety/stability, healthcare, culture & environment, education, and
infrastructure
Economist Intelligence Unit
16. City Prosperity Index Measures city prosperity across five dimensions: productivity, infrastructure, quality of life, and environmental sustaina- bility UN Habitat
17. Global Power City Index Ranks cities according to their magnetism or their comprehensive power to attract creative people, capital and enterpri-
ses from around the world
Institute for Urban Strategies

Niveau des prix par rapport aux indices urbains


Les prix des logements dans les grandes villes sont largement déterminés par l'attrait général des villes en tant que lieux de vie, de visite et d'affaires. Pour l'illustrer, nous relions les prix des logements des capitales de l'UE (c'est-à-dire le prix d'un appartement moyen dans le centre-ville tel que publié par le Global Property Guide) à un certain nombre d'indices urbains comparatifs publiés par diverses agences (pour chaque indice, nous prenons les données les plus récentes). Les différents indices classent les capitales en fonction d'un large éventail de caractéristiques spécifiques, telles que le coût et la qualité de la vie, le potentiel économique, le dynamisme culturel, l'impact environnemental, etc. Ensemble, ils fournissent des indications précieuses sur l'attractivité globale des villes.

La figure 3 montre le coefficient de corrélation des rangs entre les niveaux de prix d'un appartement moyen dans les 28 capitales, d'une part, et les différents indices urbains, d'autre part.3La liste des indices urbains a été limitée à ceux pour lesquels la corrélation des rangs est d'au moins 0,50 (le tableau 1 reprend les 17 indices utilisés). Pour plusieurs indices, la corrélation des rangs avec les prix des logements dans les capitales est remarquablement élevée. La corrélation la plus élevée (0,88) est obtenue pour le Top 100 City Destinations Index, calculé par Euromonitor International  et basé sur le nombre de touristes étrangers entrants. La corrélation la plus faible (0,51) revient au Global Power City Index de l'Institute for Urban Strategies, classant les villes en fonction de leur capacité à attirer les personnes, les capitaux et les entreprises du monde entier.

Les différents indices urbains reflètent la plupart du temps un thème spécifique. La corrélation des rangs semble être la plus élevée (c'est-à-dire 0,80 ou plus) pour les thèmes suivants: 'tourisme international', 'innovation et savoir-faire', 'coût de la vie', 'durabilité' et 'infrastructure'. Il est frappant que la corrélation des rangs soit très faible, voire négative, pour le thème de la 'sécurité'. Cela suggère que la sécurité des villes, en termes, par exemple, de présence de la criminalité ou d'activités illégales, n'est pas un facteur important des prix de l'immobilier dans les grandes villes. Pour le Cities Safety Index (source: Numbeo) et le Safe Cities Index (source: Economist Intelligence Unit), par exemple, la corrélation des rangs était respectivement de -0,19 et -0,11 (la figure 3 ne l'illustre pas).Un autre fait frappant est que pour tous les indices urbains présentés dans la figure 3, la corrélation des rangs avec les prix d'un appartement dans les capitales est plus élevée que pour le PIB (en parités de pouvoir d'achat) des capitales (la corrélation des rangs n'est ici que de 0,48).

Indicateur de sur ou sous-évaluation


Les constatations ci-dessus nous permettent d'estimer si et dans quelle mesure les prix des logements dans les capitales de l'UE sont sur ou sous-évalués. Pour répondre à cette question, nous calculons d'abord la différence entre la position occupée par chaque capitale individuelle dans le classement par niveau de prix d'un appartement moyen et la position occupée par cette ville dans le classement pour les différents indices urbains. Une hypothèse implicite ici est que les indices urbains, en tant que critères de l'attractivité globale des villes, sont un moteur fondamental des marchés résidentiels respectifs. Ensuite, un indicateur de sur ou de sous-évaluation du prix du logement d'une ville spécifique est obtenu en additionnant toutes les différences entre la place dans le classement du prix de l'appartement et la place dans le classement des différents indices urbains. Enfin, comme les villes ne figurent pas toujours dans tous les indices urbains (en raison du manque de données), la somme est divisée par le nombre de fois où la ville apparaît dans l'ensemble des indices. Une valeur positive de l'indicateur signifie que le classement de la ville pour le niveau de prix d'un appartement moyen est plus élevé que ce que l'on pourrait attendre sur la base du classement de la ville dans les différents indices urbains, et vice versa.    

L'indicateur de sur ou de sous-évaluation est présenté dans la figure 4. Prague, Helsinki et Rome sont les trois capitales de l'UE où le classement du prix d'un appartement est le plus éloigné des fondamentals tels qu'ils sont reflétés dans les différents indices urbains. Une observation frappante est que si les marchés résidentiels londonien et parisien sont relativement surévalués, ils ne font pas partie des villes où cette surévaluation est la plus marquée. À l'autre extrême, les prix à Vilnius, Copenhague et Bruxelles semblent être les plus sous-évalués. Ou, autrement dit, le classement de ces trois villes dans les différents indices justifie un niveau de prix relativement plus élevé. Alors qu'Amsterdam est considérée dans le UBS Global Real Estate Bubble Index (voir ci-dessus) comme une ville présentant un risque élevé de bulle immobilière, notre analyse montre que cela n'est pas le cas.   

La figure 4 montre également le critère d'évaluation basé sur le modèle économétrique de la BCE pour les marchés résidentiels dans les différents pays dont les villes citées sont la capitale (nous prenons le chiffre de fin 2019 car notre critère au niveau de la ville s'y réfère également). En général, il n'y a pas de corrélation entre notre indicateur au niveau de la ville et l'indicateur au niveau du pays de la BCE. Ainsi, selon notre approche, le marché résidentiel bruxellois est clairement sous-évalué, alors que le marché belge dans son ensemble est considéré comme surévalué par la BCE. À l'autre extrémité du spectre, le marché résidentiel, tant à Prague que dans l'ensemble de la République tchèque, semble être clairement surévalué.   

Nos calculs et nos constatations doivent être interprétés avec la plus grande prudence. Ils se concentrent uniquement sur l'attractivité relative des capitales, telle qu'elle est reflétée dans les différents indices urbains. D'autres facteurs déterminants peuvent toutefois s'avérer très importants pour évaluer les marchés résidentiels urbains. Il s'agit notamment des caractéristiques spécifiques de l'offre et de la demande (évolution du nombre de ménages et de leur structure, disponibilité de terrains, activité de construction, taux de vacance, etc.) ainsi que des mesures politiques (réglementation du logement urbain, disponibilité de logements sociaux, etc.) et de l'activité sur le marché hypothécaire. Il est regrettable que peu ou pas de données (comparables) soient disponibles pour la plupart de ces facteurs, ce qui rend difficile l'émission de conclusions sur leur base quant à une éventuelle exagération des prix, et plus généralement sur la vulnérabilité du marché résidentiel, dans les grandes villes d'Europe.

1Voir, par exemple, J. Briconge, A. Turrini et P. Pontuch (2019), 'Assessing house prices: Insights from 'Houselev', a dataset of price level estimates', EC discussion paper 101; et Deloitte (2020), 'Property Index 2020: Overview of European residential markets'.

2Pour l'impact d'Airbnb sur les prix des logements, voir l'Opinion économique de KBC du 17 novembre 2020.

3Le coefficient de corrélation des rangs mesure la corrélation entre deux variables. Un coefficient proche de un signifie que les deux ordres de rang correspondent largement, alors qu'un coefficient proche de zéro indique qu'il y a peu de corrélation entre les deux ordres de rang.

4Il est possible que l'absence de corrélation soit due au fait que le noyau urbain (sur lequel porte le prix des appartements) est un quartier plus sûr que les zones suburbaines.

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