La stabilité financière est menacée par la qualité du crédit, et non par sa croissance

Dans le dernier rapport du FMI sur la stabilité financière (octobre 2018), l'institution internationale met en garde contre le gonflement ininterrompu de la dette mondiale. La montagne de la dette mondiale n'a jamais été aussi élevée qu'aujourd'hui. Un examen plus détaillé des chiffres montre que l'explosion de la dette concerne principalement les économies émergentes, les problèmes potentiels étant concentrés sur quelques pays. Il semble en outre que la dette des entreprises des pays occidentaux ait fortement augmenté, sans que la croissance de la productivité ait suivi. L'octroi de crédit ne s'est donc pas suffisamment traduit en de meilleures perspectives de croissance. Le renforcement de la stabilité financière dépend davantage d’une meilleure surveillance de la qualité du crédit que de la réduction de la dette. Pour certaines économies émergentes, résorber la dette demeure toutefois une nécessité.

Charge de la dette absolue par rapport à la dette relative

En termes absolus, la dette mondiale a considérablement augmenté au cours des dernières décennies, mais en termes relatifs (lorsque la dette mondiale est exprimée en pourcentage du PIB mondial), l'on peut difficilement parler d'une explosion de la dette depuis la crise financière (figure 1).

Figure 1 - Évolution de la dette mondiale (en % du PIB et en milliards d'USD)

Source: IIF

Au cours de la dernière décennie, la dette et la croissance économique sont allées de pair. L'octroi de crédit a soutenu la croissance de la consommation et surtout des investissements. Toutefois, la croissance de la dette a été nettement plus élevée dans les économies émergentes qu'en Occident. En Occident, la charge relative de la dette a même légèrement diminué après la crise financière (figure 2). La réduction de la dette dans le secteur financier a joué un rôle important à cet égard, mais d'autres agents économiques ont creusé leur endettement dans les pays occidentaux au cours des dix dernières années.

Figure 2: Évolution de la dette, marchés émergents vs pays occidentaux (en % du PIB, moyennes pondérées du PIB)

Source: IIF

Les dettes des entreprises, hors secteur financier, ont particulièrement augmenté. Ce n'est évidemment pas une surprise durant une période de reprise économique progressive après une crise profonde. Le crédit aux entreprises a été le terreau de la croissance économique pendant la reprise. Par conséquent, l'augmentation de l'endettement des entreprises n'est pas en soi préoccupante. Les entreprises ont utilisé leurs nouvelles dettes pour investir dans l'avenir. Bien entendu, les projets financés doivent contribuer à un potentiel de croissance plus élevé à plus long terme, faute de quoi des niveaux d'endettement plus substantiels risquent de devenir intenables, surtout en cas de ralentissement de l'économie ou de hausse des taux. Pour les pays occidentaux, la croissance de la productivité est le principal moteur de la croissance potentielle future. Or, l'évolution récente de la croissance de la productivité occidentale s'avère malheureusement très décevante (figure 3). La croissance annuelle de la productivité a baissé à environ 1%, soit un niveau nettement plus faible que dans un passé récent et insuffisant pour stimuler fortement le progrès économique. Cette situation surprend alors qu'une innovation radicale en matière d'intelligence artificielle et de numérisation domine l'actualité. Il est clair que les derniers développements technologiques ne se sont pas encore traduits par une accélération de la croissance de la productivité. Cet écart entre la croissance du crédit et la baisse de la croissance de la productivité suscite des questions sur la qualité du crédit d'un point de vue macroéconomique. L'octroi de crédit n'est pas suffisamment axé sur les investissements visant à accroître la productivité. Il s'agit toutefois d'une condition essentielle à la constitution d'une dette soutenable. Il semble par conséquent plus important de réclamer la surveillance de la qualité du crédit plutôt que la réduction aveugle de la dette. Cela n'est pas une tâche facile. Les institutions financières et les autorités de surveillance contrôlent la qualité du crédit en raison de son importance pour la stabilité financière macroéconomique, mais ce contrôle est basé sur des paramètres financiers et pas toujours sur des arguments économiques pour de nouveaux projets d'investissement. En fin de compte, le remboursement des crédits octroyés est l'élément déterminant. Les besoins macroéconomiques sont donc très éloignés de la réalité microéconomique. Sur le plan économique, il serait judicieux d'introduire une perspective macroéconomique dans la politique de crédit, mais dans la pratique, la mise en œuvre est difficile. Néanmoins, cet objectif peut et doit être intégré dans une politique de crédit durable.

Figure 3: Croissance de la productivité (PIB par heure travaillée) (USD, PPA 2010, variation annuelle en %)

Source: OCDE

Vigilance pour les économies émergentes

Alors que la faible croissance de la productivité éveille l'inquiétude quant à la dette occidentale, d'autres aspects qualitatifs sont importants pour les économies émergentes. Leur vulnérabilité aux devises étrangères et aux taux d'intérêt est particulièrement problématique. En conséquence, de nombreuses économies émergentes sont exposées à l'évolution des économies occidentales, en particulier aux États-Unis. L'appréciation du dollar américain et la hausse des taux d'intérêt à long terme aux États-Unis menacent les marchés émergents lourdement endettés. Il n'est donc pas surprenant que l'Argentine et la Turquie en soient les premières victimes, mais d'autres économies émergentes suivront sans doute. Environ un tiers de l'ensemble des dettes arrivant à échéance d'ici 2021 sont libellées en USD. Malgré la stimulation de la croissance qu'apporte l'octroi de crédits aux économies émergentes, ces défis financiers exigent une réduction de la dette sur la plupart des marchés.

La situation de la dette mondiale semble donc beaucoup plus nuancée que ne le suggère le dernier rapport du FMI. Le niveau d'endettement a atteint un sommet historique, mais par rapport au PIB, la dette du monde occidental a légèrement diminué depuis la crise financière. Ce n'est que dans les économies émergentes qu'il y a une forte accumulation de la dette. Les réactions à cette situation doivent par conséquent être nuancées et différenciées. Les pays occidentaux doivent mettre davantage l'accent sur la qualité du crédit pour soutenir le potentiel de croissance et la croissance de la productivité, alors que les marchés émergents ont besoin d'une réduction des déséquilibres macroéconomiques en général et d'une résorption de la dette en particulier, à plus forte raison lorsque les conditions financières deviennent plus difficiles.

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