L'Allemagne nous rapprochera-t-elle de la garantie de dépôt européenne?

Opinion économique

Dans un article d'opinion du Financial Times du 5 novembre 2019, qui n'est pas passé inaperçu, le ministre des Finances allemand Olaf Scholz franchit peut-être une étape considérable pour l'Allemagne, mais un petit pas seulement pour l'union bancaire européenne. Il reconnaît la nécessité de la construire. La clé de voûte de cette union bancaire, c'est la garantie de dépôt européenne. Une proposition de la Commission européenne n'a jusqu'ici pas reçu de véritable attention du monde politique. Elle requiert un pas vers davantage de solidarité européenne. Les pays 'forts' de la zone euro, l'Allemagne en tête, ont provisoirement quitté ce bateau. On peut aisément le comprendre, ils ne souhaitent franchir le pas que si les banques se voient renforcées partout dans l'union. Et ce processus évolue trop lentement. Olaf Scholz déclare maintenant que l'Allemagne envisage 'une forme de garantie européenne commune des dépôts', dans le cadre d'un processus plus large. Si le ministre est suivi par l'ensemble du gouvernement allemand, cela pourrait signifier une importante percée politique. Mais la proposition est toujours loin de déboucher sur une garantie de dépôt totalement uniformisée. Olaf Scholz ne revendique pas la 'paternité' de la proposition de la CE délaissée par le monde politique. Il nous rapproche tout au plus quelque peu de l'achèvement de l'union bancaire.

Les dépôts doivent être sûrs.

Une garantie de dépôt est avant tout un instrument de protection des consommateurs. Collecter les dépôts est une tâche essentielle des banques. Les clients qui placent de l'argent sur un compte auprès d'une banque donnent à cette banque une sorte de prêt. Comme pour tout prêt, il existe un risque que l'emprunteur – dans ce cas-ci: la banque – ne rembourse pas sa dette. L'on peut s'attendre des acteurs du marché professionnels qu'ils soient à même d'évaluer eux-mêmes ce risque de crédit. Et donc, qu'ils assument les pertes si les choses tournent mal. Ce qui est pratiquement impossible pour les particuliers et la plupart des entreprises. Sur le plan économique, il est indiqué qu'ils puissent croire aveuglément que leurs dépôts sont sûrs. Pour éviter que les choses ne tournent mal, les banques sont soumises à des règles strictes et sont contrôlées de manière rigoureuse. Et si les choses venaient malgré tout à tourner mal, il existe des garanties de dépôt. Ces garanties visent à ce que chaque déposant puisse être absolument rassuré sur la sécurité de son argent pour le montant garanti – soit aujourd'hui 100 000 euros par titulaire de compte et par banque.
Les garanties de dépôt permettent aussi d'éviter que des problèmes rencontrés auprès d'une banque ne contaminent d'autres banques. Si les clients d'une banque en difficulté demandent leur argent en masse, ils pourraient susciter la panique auprès des clients de banques saines. Et si ces derniers commencent eux aussi à réclamer leur argent, cette ruée sur les banques pourrait secouer tout le système bancaire et endommager sérieusement l'économie. En aidant à éviter ce genre de spirale négative, une garantie de dépôt contribue à la stabilité financière.

La clé de voûte de l'union bancaire européenne

Les régimes de garantie de dépôt ont vu le jour après la crise financière et la Grande Dépression des années trente du siècle dernier. Ils ont démontré leur utilité pendant la crise financière d'il y a dix ans, qui a certes débouché sur une profonde récession, mais pas sur une dépression économique. D'un autre côté, la crise de l'euro a mis en lumière d'autres erreurs de construction dans la zone euro, comme le manque d'uniformité du marché bancaire.
En effet, la zone euro est une union monétaire dotée d'une Banque centrale européenne (BCE) unique, qui détermine la politique monétaire pour toute l'union monétaire. Une politique qui doit pénétrer jusque dans les ménages et les entreprises. Dans la zone euro, le système bancaire joue un rôle crucial à cet égard. Contrairement à la politique monétaire, la politique vis-à-vis des banques portait encore fort les accents nationaux. La crise bancaire a également souligné l'étroite corrélation des banques et des finances publiques. Il est arrivé que des crises bancaires secouent les finances publiques et, qu'à d'autres moments, des finances publiques à la dérive sapent la confiance dans le système bancaire. La situation était très différente d'un pays à l'autre, avec pour résultat que la politique de la BCE n'avait plus le même effet partout dans la zone euro. Il était devenu évident que l'union monétaire ne pouvait plus fonctionner sans uniformisation de la politique vis-à-vis des banques. En guise de première étape vers une union bancaire européenne, la BCE a été déclarée responsable aussi pour la surveillance unique des banques le 1er novembre 2014. Depuis 2015, avec la mise en place du Conseil de résolution unique, la gestion des crises de grandes banques a également été portée au niveau européen. La législation bancaire a depuis lors été harmonisée et renforcée sensiblement. Les banques nourrissent maintenant un Fonds de résolution unique, à même de financer le règlement d'une crise bancaire.
Mais une véritable union bancaire nécessite aussi l'uniformisation des garanties de dépôt nationales. Qui porterait un important instrument de protection des consommateurs et de stabilité financière au niveau de l'union monétaire, en plus de la réglementation, la surveillance et la gestion des crises. La nationalité d'une banque n'aurait alors plus aucune importance. Les conditions de concurrence (level playing field) seraient plus égales et les restrictions pour les activités bancaires transfrontalières dans l'union monétaire seraient moins nombreuses. Les consommateurs se verraient offrir un meilleur choix de services bancaires. Sans uniformisation, ils peuvent être tentés de chercher des banques de pays offrant les meilleures garanties de dépôt. On a pu voir, lors de la crise financières précédente, que cela ne fait qu'accroître l'instabilité du système bancaire. Proposer davantage d'activités bancaires transfrontalières renforcerait la stabilité de l'union monétaire grâce à une meilleure répartition des risques. En périodes de crise, une garantie de dépôt et un fonds de crise européens permettraient d'éviter de détériorer les finances publiques nationales. C'est la raison pour laquelle une garantie de dépôt européenne est considérée comme une importante clé de voûte de l'union bancaire.

L'orphelin de l'union bancaire...

Mais cette clé de voûte fait encore défaut. En 2015, la Commission européenne (CE) a déposé une proposition sur la table, qui est restée lettre morte jusqu'ici. Les ministres n'ont pas été au-delà de la création d'un Groupe de travail de haut niveau, censé travailler notamment sur 'a roadmap for beginning political negotiations'. Pour une question de sous, forcément. Transférer progressivement les fonds nationaux dans un fonds européen demande une forme de solidarité. Ce qui est difficilement envisageable pour les pays 'forts', à commencer par l'Allemagne. Le traditionnel point de vue allemand est le suivant: la Solidität doit précéder la Solidarität. Une solidarité plus large n'est possible que si son propre ménage est en ordre. C'est pour cela que la législation bancaire s’est encore durcie. Il faut aussi continuer à éliminer les crédits douteux (nonperforming loans, NPL) de la crise précédente. En juin 2019, ils représentaient encore 7,9% du portefeuille des banques en Italie, 8,9% au Portugal et même respectivement 21,5% et 39,2% à Chypre et en Grèce (source: DLU). Cette lente avancée vers la 'Solidität' explique le peu d'engouement réservé à la proposition de la CE.

... n'aura pas véritablement un père

Dans l'article d'opinion, le ministre des Finances allemand Olaf Scholz maintient que le système bancaire doit être renforcé davantage. Ses idées sur une garantie de dépôt européenne s'inscrivent dans un plan en quatre étapes qui, outre l'élimination des NPL, vise aussi l'introduction d'exigences en termes de capitaux pour réduire l'exposition des banques à la dette publique. Une tâche ardue pour l'Italie mais qui bénéficie d'un soutien du côté français.
Olaf Scholz va moins loin que la proposition de la CE. Il s'en tient à un mécanisme européen de réassurance entre fonds nationaux. Pour la CE, il ne s'agit que de la première étape vers la transition progressive vers une assurance de dépôt européenne. Il n'en est pas question pour le ministre allemand. Au contraire, il continue de souligner la responsabilité nationale. Si le mécanisme de réassurance ne fournit pas suffisamment de financement lors d'une crise, les fonds nationaux devront toujours faire appel à leur propre autorité. Le lien entre le système bancaire et les finances publiques n'est donc pas rompu. Réaliser la proposition ne stabiliserait dès lors la zone euro que dans une mesure limitée. L'assurance de dépôt européenne resterait loin de son pendant américain, où la Federal Deposit Insurance Corporation dispose d'une ligne de crédit auprès de la banque centrale, la Fed. Elle peut ainsi durcir la garantie de dépôt, sans hypothéquer la stabilité financière.
Bref, l'initiative du ministre des Finances allemand a pour grand mérite de lancer la discussion politique. Mais elle ne nous rapproche que peu d'une garantie de dépôt européenne à part entière.

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