L'Italie se joue un mauvais tour et tire une balle dans le pied de la zone euro

Le résultat des récentes élections en Italie rend quasiment impossible toute nouvelle réforme économique. Les Italiens se jouent de ce fait un mauvais tour puisque cette situation menace leur bien-être futur. Sans renfort économique structurel, l'Italie demeure aussi une menace latente pour la stabilité de la zone euro. Il s'agit en effet de la troisième économie de la zone euro, qui affiche la dette publique la plus élevée en valeur absolue. La menace latente d'un support financier potentiellement gigantesque compliquera le renfort structurel de la zone euro, que vise l'axe Merkel-Macron. Le résultat des élections sanctionne également l'Europe dans la mesure où il complique la perspective d'un renfort de la zone euro.

Tous les observateurs ou presque partaient du principe que les élections parlementaires italiennes du 4 mars dernier livreraient un résultat peu exploitable. Malheureusement, l'issue du scrutin a dépassé les attentes les plus pessimistes. On ne sait au juste, dans aucune des deux chambres parlementaires, comment une majorité politique pourrait voir le jour. Les deux principaux partis populistes, le Mouvement 5 étoiles anti-establishment et la Lega (l'ancienne Ligue du Nord séparatiste qui, avec l'ancien Premier ministre Silvio Berlusconi, forme un bloc de centre droite), ont séduit la moitié des électeurs avec un programme impayable de réductions d'impôt et de dépenses publiques. Même s'ils ont modéré leur rhétorique anti-européenne, ils restent relativement hostiles à l'intégration européenne. Le parti démocratique de centre-gauche proeuropéen de l'ex-Premier ministre Renzi, adepte des réformes, et du Premier ministre sortant Gentiloni, a perdu plus de la moitié de ses sièges. La formation d'un gouvernement du centre est de ce fait quasiment impossible.

Les marchés financiers ne se soucient pour l'heure pas de l'impasse politique. La prime de risque, traditionnellement mesurée comme la différence de rendement entre les emprunts d'État à dix ans italiens et allemands, n'est supérieure que de 30 à 40 points de base par rapport à il y a trois ans, à l'époque du creux qui a suivi la crise de l'euro. Tout bien considéré, l'Italie est marquée par l'instabilité politique. Durant son histoire longue de 71 ans, la République a connu 64 gouvernements, dont cinq au cours des sept dernières années. Le pays est donc plus ou moins habitué à ne pas être gouverné. Cela peut paraître rassurant mais cette "ingouvernabilité" a un coût économique élevé. 

S'il est vrai que la croissance économique en Italie s'est reprise ces dernières années - comme ailleurs dans la zone euro -, elle n'en est pas moins clairement à la traîne. En 2017, le PIB réel était toujours inférieur de 5,5% par rapport au pic d'avant la crise financière, dix ans plus tôt. Il était en revanche supérieur de 5,5% dans toute la zone euro (figure 1). L'atonie de la croissance économique n'est pas un phénomène récent pour l'Italie. Durant les dix années qui se sont écoulées entre l'introduction de l'euro en 1999 et l'éclatement de la crise financière en 2008, la croissance du PIB réel y était de 1,2% à peine en moyenne, contre 2,1% dans la zone euro. Autant d'éléments qui font qu'aujourd'hui, le PIB réel en Italie est à peine plus élevé qu'au changement de siècle, tandis que le bien-être économique dans les autres pays de la zone euro a en moyenne pris 20% depuis lors - et même 26% en Belgique.

Figure 1 - PIB réel (1T2008 = 100)

Le problème de croissance économique atone, qui ne date pas d'hier, découle essentiellement de l'effritement de la productivité, un phénomène aux causes multiples, à commencer par le mauvais fonctionnement du marché du travail. Il présente en effet une grande dichotomie entre des emplois à durée indéterminée trop protégés d'une part, et un accent trop marqué sur des emplois à durée déterminée peu protégés d'autre part. De par cet accent mal placé de la politique de chômage, les moyens publics sont mis en œuvre pour maintenir des collaborateurs au travail dans des emplois non productifs, plutôt que d'être utilisés pour aider les personnes à trouver un nouvel emploi productif. D'autres faiblesses structurelles concernent notamment les autorités et la régulation non efficientes.

En 2015, le Premier ministre de l'époque, Matteo Renzi, a forcé de vastes réformes structurelles, avec une nouvelle loi électorale, des autorités modernes, des tribunaux plus efficients, un enseignement plus performant et, surtout, des réformes de grande envergure sur le marché du travail. Il a cependant perdu un référendum constitutionnel fin 2016 et ses réformes font dès lors face à de sérieux problèmes de mise en œuvre. Ces problèmes ont dominé l'agenda du Premier ministre sortant Paolo Gentiloni, et se retrouvent désormais sur la planche du nouveau gouvernement.

L'Italie a encore beaucoup de chemin à parcourir pour renforcer son économie. Certes, le chômage est en baisse, mais il reste à des hauteurs record, nettement au-dessus de la moyenne de la zone euro. La participation au marché du travail fait en outre partie des plus faibles dans l'UE. La détérioration de la compétitivité a certes cessé mais il n'est pas question de remontée pour autant. Heureusement, le secteur bancaire se porte mieux et la problématique des prêts bancaires dus depuis longtemps maintenant est enfin abordée. Les défis sont de taille en ce qui concerne les finances publiques. L'Italie comptabilise, après la Grèce, la dette publique la plus élevée (en pourcentage du PIB) de la zone euro, tandis que le déficit budgétaire s'aggrave de manière structurelle.

Il est peu probable que l'Italie connaisse une grave crise financière à court terme. Contrairement à la France, par exemple, l'Italie n'accuse pas de déficit courant et sa position d’investissement nette par rapport à l’étranger n’affiche qu’un léger déficit. Les Italiens économisent suffisamment pour financer leur dette publique, ce qui limite le risque.

Le problème est plutôt que le résultat des élections ne permet pas de former un gouvernement stable, avec une majorité suffisamment forte pour poursuivre les réformes. Plus encore que dans d'autres pays, l'Italie est empêtrée dans un cercle vicieux, tant sur le plan économique que social et politique. La baisse de la productivité au cours de la décennie précédente se traduit dans le revenu des ménages réel disponible par habitant, aujourd'hui moins élevé qu'il y a vingt ans. La jeune génération et les salariés ont accusé une baisse de revenus relativement importante, tandis que les retraités et les personnes âgées ont en général été préservés (Banca d'Italia, 2015). Il s'agit là d'un terreau fertile pour la fragmentation politique et les propositions politiques populistes. Et cela donne un scrutin qui rend impossible le renforcement de la croissance et du bien-être, et ce terreau de rester intact.

À terme, l'absence d'une croissance plus vigoureuse se traduira par une augmentation des primes de risque sur la dette publique, surtout si la BCE met un terme à son programme de rachat d'emprunts d'État. À mesure que les taux augmenteront, la tenabilité de la dette publique colossale se réinvitera à l'avant-plan. Sans croissance plus vigoureuse, l'Italie demeure aussi une menace potentielle pour la stabilité de la zone euro. En tant que troisième économie, elle est en effet trop importante pour pouvoir être sauvée (too big to bail out) si elle devait malgré tout traverser une crise de financement. Ce sauvetage encore envisageable avec des pays plus petits comme la Grèce ou le Portugal. Sans réformes, l'Italie reste donc un risque systémique pour la zone euro. La menace latente d'un support financier potentiellement gigantesque compliquera le renfort structurel de la zone euro, que vise l'axe Merkel-Macron. Pour être efficient, il doit en effet créer de meilleurs mécanismes de soutien financier. Des étapes qui ne seront envisageables que si les États membres mènent une politique qui en limite la nécessité.

Bref, l'Italie s'est non seulement joué un mauvais tour en mettant son bien-être en péril. Elle a également tiré une balle dans le pied de la zone euro en en compliquant le renforcement.

Cora Vandamme

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