La diversité, sous-estimée par les politiques
Les ménages ont considérablement évolué ces dernières décennies. La famille nucléaire classique a désormais fait place à une mosaïque d’organisations non traditionnelles. La Belgique est l’un des pays d’Europe où les changements sont les plus rapides, or sa politique ne s’adapte que trop lentement à ces mutations. Elle doit tenir davantage compte des conséquences de la diversification croissante des configurations, et faire en sorte d’éliminer les discriminations. Les entreprises, elles aussi restées sur l’idée de la famille traditionnelle, n'auront d’autre choix que de s’adapter à des organisations beaucoup plus diverses.
La Journée internationale du mariage a lieu chaque deuxième dimanche de février. Les raisons de faire la fête ne sont pourtant pas nombreuses : l’engagement à vie qu’est cette institution attire en effet de moins en moins. Depuis les années 1970, le mariage et en particulier, le mariage religieux, ainsi que la famille nucléaire classique qu’on lui associe souvent, ont considérablement reculé en Belgique. Ils sont désormais remplacés par une mosaïque d’organisations non traditionnelles : cohabitation (légale ou de fait), familles recomposées, famillesmonoparentales, relations à distance ou épisodiques, couples homosexuels, familles plurigénérationnelles, etc.
Le phénomène engendre une complexité et une instabilité croissantes des ménages. La taille moyenne des ménages a considérablement diminué, tandis que de plus en plus d’enfants n’habitent pas avec leurs deux parents. La Belgique est l’un des pays d’Europe où les changements, à cet égard, sont les plus rapides. Un quart des enfants belges ne vivent pas avec leurs deux parents (mariés ou cohabitants). Seuls le Danemark et la Lettonie affichent un pourcentage plus élevé. Avec le Royaume-Uni et l’Irlande, la Belgique fait partie des pays d’Europe où vivent le plus grand nombre (plus de 6 %) de familles monoparentales.
Le type d’organisation familiale qui connaît la croissance la plus rapide est celle des isolés sans enfants (habitant au foyer). Les « célibataires » comptent en Belgique pour plus d’un tiers de l’ensemble des ménages, et pour près d’un cinquième de la population adulte. Là encore, ces statistiques sont bien supérieures à la moyenne européenne. Il s’agit de situations en partie transitoires, mais aussi, de plus en plus souvent, de longue durée, voire permanentes. Compte tenu du vieillissement de la population, le groupe des isolés - situation qui, généralement, fait suite à la perte du partenaire - âgés de plus de 65 ans s'étoffe. Il convient de souligner que les célibataires plus jeunes sont, volontairement ou non, de plus en plus nombreux. En Belgique, près de deux isolés sur trois ont moins de 65 ans, contre un peu plus d’un sur deux dans l’intégralité de l’Union européenne.
Selon la plupart des démographes, les tendances constatées en matière de nouvelle organisation familiale vont s’intensifier au cours des prochaines décennies. Ils estiment que les ménages vont continuer à se « déliter » : les liens entre partenaires (et leurs enfants) vont se distendre, cependant que le nombre d’isolés ne cessera de croître. Cette tendance va interagir avec d’autres évolutions socio-économiques, comme le vieillissement, l’accélération des migrations internationales, l’intensification de la mobilité des citoyens, l’urbanisation et les nouvelles formes de logement. Les innovations dans les domaines de l’informatique, des réseaux sociaux et des applications médicales pourraient, elles aussi, contribuer à multiplier les configurations.
En Belgique, le Bureau fédéral du Plan établit, dans le cadre de ses prévisions démographiques (« Perspectives de population annuelles »), des pronostics sur les diverses formes qu’adopteront les ménages au cours des prochaines décennies (voir le figure). L’évolution la plus remarquable sera l’accroissement, aussi bien absolu que relatif, du nombre d’isolés : en 2060 (fin de l’horizon étudié), ceux-ci représenteront 42 % des ménages, contre 34 % aujourd’hui. Les couples cohabitants et les familles monoparentales augmenteront également, au détriment des couples mariés. La catégorie des couples cohabitants n’est pas détaillée plus avant, mais l’on peut supposer que son augmentation ira de pair avec celle du nombre de couples et ménages recomposés.
Figure 1 - Evolution des divers types de ménages en Belgique entre 1990 et 2060 (par 100.000)
Conséquences et défis
Ces mutations rapides et marquées engendrent d’importants changements économiques et sociaux. Le recul de la famille traditionnelle et la nette augmentation du nombre d’isolés accentuent les risques de pauvreté et d’exclusion sociale. Le délitement des liens nuit en effet à la solidarité intrafamiliale. D’après Eurostat, les isolés, qui représentent en Belgique un tiers environ des ménages, constituent également près de la moitié des personnes fragilisées. L’incidence de cette situation sur l’environnement ne peut être sous-estimée. Des ménages en moyenne plus petits et plus instables signifient une consommation d’énergie et d’eau, une production de déchets, des transports et des unités d’habitation généralement plus élevés par tête d’habitant. L’on constate en outre une disparité croissante entre les logements disponibles et les besoins en la matière. La diminution de la taille des ménages - et, plus précisément, l’augmentation du nombre d’isolés - entraîne un besoin croissant d’habitations plus petites. Les nouveaux modes de vie exigeront des formes de plus en plus flexibles d’habitation et de cohabitation, comme le logement collectif. Les décisions d’achat (véhicule, alimentation, etc.) étant souvent prises en fonction de la configuration du ménage, toutes ces mutations auront une incidence significative sur les schémas de consommation. La composition de plus en plus hétérogène des familles engendrera une fragmentation des besoins, qui se traduira par une multiplication du nombre de produits et services conçus à la mesure des divers types de ménages.
Ces mutations feront naître de nombreux défis, aussi bien pour les pouvoirs publics que pour les entreprises. Bien que la famille nucléaire ne soit plus la norme, elle le reste, en grande partie, aux yeux des décideurs politiques : le gouvernement doit donc davantage tenir compte des conséquences de l’intensification de la diversité des formes de vie, et veiller à ce que la législation et la réglementation soient plus neutres dans ce domaine (la discrimination se traduit par exemple par une pression fiscale plus intense sur les célibataires). Les segmentations traditionnelles pratiquées par les entreprises tiennent elles aussi insuffisamment compte des configurations nouvelles, plus complexes et plus dynamiques. Or ces mutations exigeront des entreprises qu’elles conçoivent un nombre sans cesse croissant de produits et services à la mesure des besoins et des préférences spécifiques de ces nouveaux types de ménages, tout particulièrement pour le groupe, en augmentation constante, des isolés.