La Banque centrale japonaise, source inépuisable de liquidités à l’échelon mondial

La Banque centrale japonaise fut la première grande Banque centrale à adopter, dans les années 1990, une politique monétaire non conventionnelle. Bien qu’elle soit allée beaucoup plus loin, dans le choix de ses outils stratégiques, que ses collègues américaine et européenne, elle n’est toujours pas près d’atteindre les 2 % d’inflation visés - ni, par conséquent, d’abandonner sa politique monétaire. Elle pourrait donc être la dernière à appliquer une politique accommodante, puisque la BCE envisage d’abandonner sous peu son programme de rachats massifs. La politique monétaire nipponne a des répercussions sur l’économie non seulement nationale, mais aussi, mondiale. La création de liquidités à l’échelon international restera considérable tout un temps encore.

Des innovations toujours plus extrêmes

La Banque centrale japonaise peut être sans hésiter qualifiée d’inventeur de la politique de taux zéro puis, ensuite, de la stratégie quantitative à large échelle. Pour rappeler brièvement les choses, elle avait, au début des années 1990, fait chuter son taux directeur en réaction à la crise économique qui frappait le pays. C’est ainsi qu’est très vite apparue la première politique de taux zéro menée par une grande banque centrale. Son taux directeur a même fini par devenir négatif. Après avoir épuisé les possibilités stratégiques sur ce plan, l’institution a entrepris de racheter massivement des titres de dette, une politique qui a donné naissance, en 2013, au concept d’« assouplissement quantitatif et qualitatif » : il s’agissait d’assouplir la politique sur le plan non seulement quantitatif, en alourdissant le bilan de la Banque, mais aussi de se montrer moins regardant sur la qualité des actifs rachetés. La Bank of Japan (BoJ) acquiert donc des obligations souveraines, mais aussi des fonds d’actions et fonds immobiliers plus risqués, entre autres. Pour faire bonne mesure, elle a étendu, en 2016, sa politique d’assouplissement quantitatif et qualitatif à une politique de « contrôle de la courbe des taux », qui consiste à maintenir le rendement des obligations d'Etat à 10 ans à un niveau proche de zéro. Elle qui, avec son taux directeur, déterminait déjà les taux courts, s’est ainsi assuré le contrôle de l’intégralité de la courbe sur 10 ans.

Le libre marché hors-jeu

En combinant ces politiques, la Bank of Japan va bien plus loin que ce que la Federal Reserve, la BCE et la Bank of England ont jamais fait. Elle contrôle désormais, outre le marché monétaire, le marché obligataire sur 10 ans. Elle vise une courbe des taux plate. Le taux directeur est en effet fixé à -0,1 %, l’objectif pour le taux à 10 ans, à 0 %. L’institution est prête à intervenir sur le marché, quoi que cela puisse lui coûter, pour atteindre cet objectif. Elle estime ces interventions à quelque 60 milliards de dollars américains par mois en moyenne. Cette politique de courbe de taux basse et plate a des répercussions à la fois sur l’économie domestique et sur l’environnement monétaire mondial. La création nette de liquidités à l’échelon mondial va en effet demeurer provisoirement positive, malgré la réduction de bilan opérée par la Fed et l’abandon probable, dans un avenir proche, de son programme de rachats massifs par la BCE.

Les autres banques centrales devraient-elles s’inspirer de cette politique de contrôle de la courbe ? La Fed avait en tout cas envisagé - sans la retenir - la question dès 2010. La stratégie ne manque certes pas d’avantages - elle a exercé un effet calmant immédiat sur les taux longs. Si l’annonce est crédible pour le marché, les interventions nécessaires pour atteindre le taux visé peuvent de surcroît demeurer limitées.

Mais... Le taux à 10 ans se mue en un véritable « taux directeur », au sujet duquel la BoJ doit régulièrement arrêter de nouvelles décisions. Il n’est en outre pas impossible que cette stratégie stimule la volatilité du bilan de la Banque, volatilité sur laquelle celle-ci a peu de prise. L’on s’interroge également sur la stratégie de sortie : comment faire, un jour, machine arrière ? Perpétuer cette politique perturberait en effet la discipline à laquelle se contraignent les marchés tant monétaires qu’obligataires. Le fait que la BCE puisse envisager d’atteindre, au sein de l’UEM, certains niveaux de différentiels d’intérêts, engendrerait en outre un énorme risque éthique, puisqu’il sonnerait sans doute très rapidement le glas de la discipline budgétaire au sein de la zone. Rien d’étonnant, donc, à ce que ni la Fed, ni la BCE, ne semblent disposées à adopter cette stratégie.

Objectif d’inflation de 2 %, ou un peu plus ?

Deuxième objectif marquant de la stratégie : faire en sorte que l’inflation dépasse durablement les 2 %. Là encore, la Banque centrale japonaise va plus loin que les autres. S’il peut paraître étrange de tenter de dépasser longuement ses propres objectifs d’inflation, cette politique s’inspire du concept d’objectif de niveau de prix également évoqué par les économistes européens et américains. L’idée est que la Banque centrale axe sa stratégie sur le niveau des prix à la consommation et non sur les chiffres d’inflation annuels. En d’autres termes, au lieu d’être exprimée sous la forme d’un pourcentage fixe pour chaque exercice futur, l’inflation annuelle visée sera, au besoin, supérieure à ce pourcentage, de manière à compenser les pourcentages antérieurs inférieurs. Mais cette approche pourrait semer la confusion sur les marchés financiers. L’inflation visée par la Banque centrale pour une année donnée serait en effet perçue d’une manière moins claire, ce qui risquerait de nuire à la crédibilité de l’institution et de déstabiliser les prévisions en matière d’inflation. C’est pour cette raison, notamment, qu’aucune des autres grandes banques centrales n’a jamais sérieusement envisagé cette option.

Leçons

Malgré tous ses efforts, la BoJ ne paraît pas en mesure de relever durablement l’inflation. L’économie nipponne semble incapable de s’écarter des anticipations inflationnistes flirtant avec le 0 %. Après près de trois décennies, ces anticipations vont même jusqu’à s’auto-confirmer, par le canal, notamment, de la formation des salaires.

Dans la mesure, toutefois, où la faiblesse de l’inflation est largement intégrée dans la formation des prix et des salaires, son effet perturbateur sur l’économie réelle est très limité, ce que confirment la croissance économique soutenue et la bonne santé du marché du travail nippon. La situation du pays illustre donc la neutralité, à long terme, des variables monétaires (dont l’inflation) sur l’évolution de l’économie réelle.

L’aventure monétaire japonaise démontre également qu’une politique non conventionnelle peut être, dans certains cas, menée d’une manière quasi pérenne sans peser sur l’économie réelle ou provoquer l’emballement de l’inflation. Inversement, l’on constate que l’assouplissement quantitatif ne suffit pas à atteindre les objectifs d’inflation fixés par une Banque centrale. La BCE peut en témoigner.

La Bank of Japan a franchi les limites en matière de politique budgétaire également. Son bilan est désormais constitué de 40 % environ de la dette publique nipponne. La politique monétaire contribue par conséquent à rendre supportable la dette publique, que l'on sait colossale (236 % du PIB). La décision de maintenir aux alentours de 0 % le taux des obligations d’État à 10 ans s’inscrit dans la même veine. Cette politique de financement monétaire de la dette publique n'a pas encore, tant s’en faut, provoqué l’emballement de l’inflation. Il est toutefois peu probable que la situation se prolonge indéfiniment. En tout état de cause, la Bank of Japan n’inspire pas les autres banques centrales.

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