Dénoncer l’ALENA, une fausse bonne idée

Avant même d’être élu, Donald Trump fustigeait la forme que revêt actuellement l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) conclu entre son pays, le Canada et le Mexique. Il s’est donc, une fois à la Maison-Blanche, empressé d’entamer des négociations en vue de le détricoter. L’ambiance générale s’étant récemment dégradée, la perspective d’un retrait américain semble vouloir se confirmer. Une défection des États-Unis serait pourtant préjudiciable au pays lui-même. Si l’ALENA n’a pas que des avantages, il contribue à la bonne santé de l’intégralité de l’économie. En outre, dans l’hypothèse où les relations commerciales tourneraient au vinaigre, c’est le Mexique qui disposerait de l’arsenal de mesures de rétorsion le plus fourni.

La signature, en 1994, de l’ALENA entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, a marqué le début d’une période d’accélération des flux commerciaux et financiers entre ces trois pays. Reste que le soutien de l’actuel gouvernement au texte est plus que limité. Dès l’entame de sa campagne, Donald Trump ne s’est pas privé de critiquer l’accord, pointant essentiellement du doigt les pertes d’emplois (certains les estiment à 600.000) qu’il aurait provoquées. Il n’est donc pas étonnant que des négociations aient été entamées au mois d’août de cette année. Si la rhétorique du 45e président des États-Unis autour de l’accord ne brille pas toujours par sa diplomatie, l’essence de son discours - la modification des détails du texte vieux de 23 ans - prête assez peu à controverse. L’économie mondiale n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était à l’époque - le commerce virtuel, par exemple, n’existait même pas en ce temps-là. Vouloir moderniser l’ALENA n’a donc rien d’incongru. Reste que l’équipe américaine chargée des négociations n’entend pas se contenter d’un dépoussiérage : elle veut un accord « équitable », qui permettrait de rétablir l’emploi et de diminuer le déficit commercial des États-Unis, faute de quoi, précise le site Web de la Maison-Blanche, « le président avertira que les États-Unis ont l'intention de quitter l'ALENA ».

Or cette perspective paraît désormais de plus en plus probable. Le cinquième cycle de négociations commence aujourd’hui. Alors que les discussions initiales s’étaient révélées relativement constructives, le quatrième cycle fut particulièrement houleux. Il faut dire que les nouvelles exigences des États-Unis ont été jugées inacceptables par les gouvernements mexicain et canadien. Peut-être ne sont-elles qu’une tactique de négociation ; mais peut-être aussi visent-elles à inciter les partenaires des États-Unis à rompre la discussion, ce qui les rendrait responsables d'un échec aux yeux du monde. Saboter le débat serait pourtant peu habile et les États-Unis auraient tout autant à y perdre que les autres.

C’est vrai, l’accord n’a pas eu que des effets positifs. En plus d'avoir coûté des emplois, essentiellement dans l’industrie automobile, il a largement contribué au déficit commercial avec le Mexique. Il est toutefois vain d’espérer que son abandon inverserait la tendance. Contrairement à ce qu’affirme Donald Trump, les pertes d’emplois ne se combleraient pas si facilement. Plusieurs analyses démontrent de surcroît que certains des effets économiques négatifs auraient pu se produire même en l’absence d’accord. Ces effets se sont en outre fortement concentrés dans certains secteurs spécifiques, alors que les bénéfices se sont étendus à l’intégralité de l’économie : augmentation des exportations, amélioration de l’efficience et diminutions de prix sont profitables à tous les Américains. Certes, l’abandon de l’accord ne provoquerait pas la disparition immédiate de ses incidences positives et l’arrêt des flux commerciaux.

Mais il aurait incontestablement des inconvénients. Selon toute vraisemblance, le peso mexicain et le dollar canadien se déprécieraient considérablement face au billet vert, ce qui nuirait aux exportations américaines. Sans compter que les incertitudes entourant le cadre commercial à venir pèseraient sur la production, de même que sur les investissements domestiques et étrangers, des États-Unis. Sur le long terme en particulier, le pays n’a aucun intérêt à se désister. S’il le faisait néanmoins, le commerce s’organiserait à nouveau selon le principe de la nation la plus favorisée (most favoured nation - MFN) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les tarifs MFN sont les tarifs que les pays membres de l’OMC appliquent aux produits importés à partir d’autres Etats membres de l’OMC avec lesquels ils n’ont pas d’accord commercial. Le Canada et les États-Unis ayant conclu, bien avant l’ALENA, un accord commercial, seuls les échanges avec le Mexique se verraient appliquer les tarifs MFN. Les droits MFN s’établissent à 3,5 % en moyenne aux États-Unis, contre 7 % au Mexique (figure 1) : en d’autres termes, les entreprises américaines qui exportent vers le Mexique se verraient appliquer une augmentation plus marquée que les entreprises mexicaines exportant vers les États-Unis. Si les droits devraient demeurer en moyenne très limités, d'importantes différences entre marchandises augmenteraient considérablement le coût de certains produits (les produits agricoles, par exemple).

Figure 1 - Tarifs selon les règles de l’OMC (moyennes ; 2016 ; en %)

Source : KBC Economic Research, sur la base des Profils tarifaires de l’OMC (2017)

Il est en outre possible que dans un contexte de négociations hostiles, des mesures de rétorsion soient prononcées. C’est la raison pour laquelle il convient également d’examiner les tarifs « consolidés » (bound tariffs), c’est-à-dire les tarifs maximum qu’un pays peut appliquer sans contrevenir aux règles de l’OMC. Pour les États-Unis, les tarifs consolidés sont globalement identiques aux tarifs MFN. Le pays ne pourrait donc quasiment pas relever ses taux sans enfreindre les règles de l’OMC. À l’inverse, les tarifs consolidés pour le Mexique sont de 36 % plus élevés que les tarifs MFN : les hausses susceptibles de frapper les entreprises américaines qui exportent vers le Mexique pourraient donc être considérables (graphique 1). D’après les règles de l’OMC, s’il relevait ses tarifs jusqu’au niveau des tarifs consolidés, le Mexique devrait les appliquer à tous les partenaires avec lesquels il n’a pas conclu d’accord commercial. Mais le Mexique étant signataire de 19 accords commerciaux, un pan important de ses importations est exempté de droits. En d’autres termes, il pourrait, à titre de représailles contre les États-Unis, augmenter ses tarifs sur les produits exportés par les partenaires avec lesquels il a conclu un accord commercial, une mesure qui fragiliserait considérablement certains secteurs d’activité américains. Les tarifs consolidés mexicains sur l’acier, par exemple, s’élèvent à 35 %. Une hausse de ce type frapperait durement les producteurs d’acier américains, puisque le Mexique pourrait se fournir ailleurs sans alourdir ses frais commerciaux. En un mot, si l’ALENA était dénoncé, le Mexique disposerait de nombreuses possibilités de rétorsion, ce qui ne serait pas le cas de son voisin du nord. D’autres mesures protectionnistes (des mesures anti-dumping, par exemple) pourraient toutefois être envisagées.
Rien n’indique à ce stade que les États-Unis vont sortir de l’ALENA ; mais s’ils devaient en arriver là, une politique protectionniste beaucoup plus extrême à l’égard de l’intégralité du commerce international pourrait émerger - au détriment de l’économie non seulement américaine, mais aussi, mondiale.

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