Réformer le système international des réserves de change pour éviter une guerre des monnaies

Opinion économique

Depuis l'introduction du système monétaire de Bretton Woods il y a 75 ans, le dollar américain est la première monnaie de réserve au monde. Bien que beaucoup de choses aient changé depuis lors, la monnaie US demeure aujourd'hui au centre du système monétaire international. Elle est largement utilisée pour les paiements internationaux et les économies émergentes y recourent pour se protéger contre la volatilité économique ou financière. D'aucuns réclament depuis longtemps une réforme du système et la création d'un filet de sécurité financière mondial plus efficace, plus juste et moins générateur de déséquilibres mondiaux. Si les États-Unis ont intérêt à faire durer cette situation et la puissance qu'elle leur confère, le président américain Donald Trump ne cache toutefois pas son aversion pour un dollar fort. La perspective d'une éventuelle guerre mondiale des monnaies échauffe de plus en plus les esprits. Vu les circonstances, il est temps que les responsables politiques internationaux, y compris européens, se penchent sur une réforme majeure du système monétaire international. Un réseau international d'accords de swaps est une alternative viable au système actuel.

Un système lacunaire

Le système monétaire international actuel fait l'objet de deux critiques essentielles1. En encourageant fortement les pays pauvres à détenir des actifs en dollars américains (c'est-à-dire à prêter de l'argent aux États-Unis) pour éviter une crise, il contribue peu à un monde plus juste et il n'est pas idéal car il contribue aux déséquilibres mondiaux et comprime la demande mondiale. Afin de pouvoir approvisionner la monnaie de réserve mondiale, les États-Unis doivent afficher un déficit de la balance courante et emprunter au reste du monde. Les réserves d'autres pays drainent donc en réalité une partie de la demande mondiale, freinant ainsi la croissance internationale. Les États-Unis, en tant que consommateur de dernier recours (consumer of last resort), doivent compenser la perte de pouvoir d'achat, un rôle qui se complique à mesure que l'endettement américain se creuse. Une réforme du système viserait donc à résoudre ces problèmes.

Les accords de swaps comme planche de salut

Certains affirment qu'une plus grande diversification des réserves, c'est-à-dire des pays ayant plus d'euros, de yens et même de renminbis chinois à côté des dollars américains, résoudra nombre de ces problèmes. Toutefois, si les banques centrales du monde entier négociaient massivement dans ces monnaies, un tel système pourrait conduire à une plus grande volatilité qu'un système basé sur une monnaie de réserve unique. En outre, forcer les marchés émergents à acheter des actifs à rendement négatif en euros ou en yens ou risquer une crise ne corrige pas les inégalités du système actuel. Enfin, l'affaiblissement du rôle de l'euro en tant que monnaie de réserve depuis la crise montre qu'il n'y a pas actuellement de réelle alternative au dollar.

Détention mondiale de réserves internationales (par monnaie, en % du PIB)

Parmi les autres solutions possibles figurent différentes façons d'étendre le rôle des droits de tirage spéciaux (DTS)2 du FMI à celui de réserves (par exemple, en augmentant la fréquence et le volume de leurs émissions). La solution peut-être la plus efficace, mais probablement la plus controversée, consiste à faire du pool DTS du FMI une ligne de swaps permanente entre les banques centrales de l'ensemble des États membres du FMI. Cela signifierait qu'au lieu de recevoir des DTS sous forme d'adjudications, les pays pourraient échanger leurs propres monnaies pour détenir des DTS et les échanger ensuite contre les monnaies d'autres membres. Le FMI servirait en réalité d'intermédiaire entre les banques centrales. En d'autres termes, un DTS serait soutenu par l'accord de tous les membres de fournir des liquidités aux autres membres en période de difficultés économiques et financières (moyennant un certain nombre de conditions fixées au préalable). Pour la zone euro en particulier, cela signifierait que la Banque centrale européenne contrôlerait le compte DTS de l'union monétaire plutôt que les pays individuels, ce qui conférerait plus de légitimité à la monnaie unique. Bien que le processus s'avère politiquement difficile, il existe un précédent pour de tels accords de swaps entre économies développées et émergentes, en particulier pendant la crise de 2008.

Une opportunité urgente


Jusqu'à présent, les États-Unis semblaient peu favorables à une modification du système mondial de réserves qui accorderait au dollar américain une place moins importante. Tant le seigneuriage3 que la possibilité d'emprunter à un taux plus bas grâce à une demande en quelque sorte 'fabriquée' d'actifs américains sont deux avantages (relativement limités) dont les États-Unis bénéficient dans le système actuel. La résistance américaine à un tel changement s'explique toutefois essentiellement par un facteur plus important: le rôle du dollar au centre du système monétaire international et son utilisation généralisée dans les paiements internationaux confèrent aux États-Unis une influence mondiale considérable sur la politique tant économique que politique.

Selon le président américain, le reste du monde ne se comporte pas toujours équitablement vis-à-vis du dollar. Sur Twitter, Donald Trump accuse souvent d'autres pays d'affaiblir leur propre monnaie. Le secrétaire américain au Trésor a également déclaré au nom de Donald Trump que la Chine avait manipulé sa devise, ce qui est quelque peu paradoxal, étant donné que celle-ci n'intervient plus pour maintenir le renminbi au-dessus d'un certain niveau. Le président américain rejette même la conviction 'orthodoxe' selon laquelle les banques centrales devraient être indépendantes du gouvernement et reproche constamment à la Réserve fédérale de ne pas se montrer assez souple dans sa politique monétaire pour affaiblir le dollar américain. Ses flèches incessantes ont même donné lieu à des spéculations selon lesquelles il pourrait encourager le département du Trésor et la Fed à intervenir directement sur les marchés des changes. Pourquoi? Pour Donald Trump, un dollar américain fort renforce son grand ennemi - le déficit commercial US.

Le point de vue de Donald Trump sur le commerce mondial et les taux de change pose de nombreux problèmes, mais il est vrai que dans le système actuel des réserves internationales, il est incroyablement difficile, voire impossible, pour l'économie américaine de résorber ses nombreux déséquilibres. Ainsi, une dépréciation du dollar américain pourrait affecter négativement le bien-être des pays disposant d'actifs américains considérables et positivement celui des États-Unis, ce qui, en théorie, atténuerait tous les effets commerciaux potentiels de la dépréciation du dollar.

Si l'administration Trump a décidé que les inconvénients du système monétaire actuel l'emportent sur ses avantages, la communauté politique internationale devrait en profiter pour mener des réformes sérieuses. Un réseau mondial de lignes de swaps, éventuellement coordonné par les DTS du FMI, semble politiquement compliqué, mais n'est pas impossible. Il résorberait nombre des déséquilibres qui contribuent à l'instabilité mondiale. Bien que d'autres facteurs puissent contribuer à une guerre des monnaies (des dévaluations compétitives pour stimuler le commerce constitueraient toujours un risque), une telle réforme pourrait apaiser de nombreuses tensions mondiales consécutives à ces déséquilibres. En outre, cela n'affecterait pas en soi l'utilisation du dollar américain pour les paiements internationaux, étant donné que les DTS ne seraient toujours détenus que par les banques centrales, ce qui, bien entendu, rend un tel système plus acceptable pour les autorités américaines. Le temps semble donc venu d'effectuer ce changement, le statu quo nous rapprochant de plus en plus d'une guerre des monnaies.
 

1. Pour une explication plus complète, voir Stiglitz, Joseph E. et Greenwald, Bruce (2010) 'Towards A New Global Reserve System', Journal of Globalization and Development: Vol. 1: Iss. 2, article 10.
2. Un DTS est une créance potentielle sur les devises d'autres membres du FMI. Il est évalué en fonction d'un panier de monnaies et est attribué aux membres sur la base de quotes-parts.
3. Le seigneuriage est le bénéfice qu'une banque centrale ou un État réalise en émettant une monnaie, basé sur la différence entre la valeur nominale de la monnaie et les coûts de production de cette monnaie.

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